Les séances se tiendront en présentiel :
INalCO, 65 rue des Grands Moulins, Paris XIIIe

Séminaire pluridisciplinaire
Organisateurs : Amr Ahmed (INALCO, CeRMI), Sandra Aube (CNRS, CeRMI), Samra Azarnouche (EPHE PSL, CeRMI)

Le séminaire mensuel de recherche « Société, politiques et cultures du monde iranien », organisé par l’UMR 8041 Centre de Recherche sur le Monde Iranien (CNRS – Sorbonne nouvelle – INaLCO – EPHE), présente les recherches récentes sur l’Iran et le monde iranien, de l’Antiquité à nos jours, selon une approche « aire culturelle » et dans une perspective pluridisciplinaire (linguistique et philologie, littérature, histoire, histoire de religions, histoire de l’art, sciences sociales…). Il fait intervenir les membres de l’unité de recherche (chercheurs, enseignants-chercheurs et doctorants) mais aussi des invités venant d’autres institutions universitaires en France et à l’étranger. Le séminaire est conçu comme un lieu d’échanges et de débats, et aborde les problématiques en articulation avec les cinq axes de recherche développés au sein du CeRMI: Produire, écrire, échanger; Les communautés religieuses: textes, traditions et identités; Etats, territoires et sociétés contemporaines; Littératures et création littéraire; Langues et linguistique. Le séminaire s’adresse aux doctorants et chercheurs travaillant sur l’aire culturelle iranienne, et il est également ouvert aux étudiants de Master et plus largement à tout public intéressé par ces thématiques de recherche.



Programme en format PDF


Mardi 18 octobre 2022, salle 3.15 (17h-19h)

Valentina Bruccoleri (Université Ca’ Foscari de Venise)
Au-delà de la collection d’Ardebil : nouvelles perspectives sur la porcelaine chinoise dans le monde iranien

Résumé

La diffusion et la réception de la porcelaine chinoise dans le monde iranien est un sujet encore peu exploré dans toute sa complexité. Si plusieurs études se sont intéressées aux échanges entre le monde chinois et le monde iranien, ainsi qu’au rôle particulier joué par la céramique dans ces échanges, de nombreuses zones d’ombre peuvent être encore identifiées.
La majestueuse collection d’Ardebil, conservée en grande partie au musée national d’Iran à Téhéran, constitue le témoignage le plus important de la présence de porcelaine chinoise en Iran. Pour cette raison, elle a longtemps constitué le principal centre d’intérêt des études sur ce sujet. En particulier, l’œuvre magistrale sur cette collection, menée par John A. Pope dans les années 1950, est considérée encore aujourd’hui comme une référence dans ce domaine.
Pourtant, les dynamiques de diffusion de la porcelaine chinoise dans le monde iranien ne se limitent pas à la constitution de cette collection. Les côtes iraniennes du golfe Persique ont mis au jour un grand nombre de tessons de céramique chinoise, offrant un aperçu du commerce de ces objets par voie maritime. Moins explorés, les territoires d’Asie Centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, sud du Kazakhstan, nord de l’Afghanistan) ont pourtant révélé des preuves archéologiques de la diffusion de porcelaines chinoises à travers les routes terrestres. Les sources textuelles anciennes, chinoises ou persanes, ainsi que certaines sources visuelles, viennent soutenir ces découvertes et apportent de nouveaux éléments au tableau des échanges sino-iraniens à l’époque pré-moderne.
Cette conférence explorera, à travers le résultat d’études de terrain menées en Ouzbékistan dans le cadre de recherches doctorales, la circulation et la réception de porcelaines chinoises d’époques Yuan (1271-1368) et Ming (1368-1644) sur les routes terrestres de l’espace eurasien.

Orientations bibliographiques

  • Allsen, Thomas T. Culture and conquest in Mongol Eurasia, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
  • Carswell, John. Blue & White. Chinese Porcelain around the World, Londres, British Museum Press, 2000.
  • Kadoi, Yuka. « From Acquisition to Display: the Reception of Chinese Ceramics in the Pre- modern Persian world », Persian Art. Image-Making in Eurasia, Yuka Kadoi (dir.), Édimbourg, Edinburgh University Press, 2018, p. 60-77.
  • Pope, John Alexander. Chinese Porcelain from the Ardebil Shrine, Washington, Smithsonian Institution, 1956.

Jeudi 17 novembre 2022, salle 5.28 (17h-19h)

Viola Allegranzi (Institute of Iranian Studies, Austrian Academy of Sciences)
Les gunbads de Chisht-i Sharif : nouvelles perspectives sur un site méconnu et sur l’histoire des Ghourides en Afghanistan (mi-XIIe – début XIIIe siècle)

Résumé

Chisht-i Sharif (aussi connu comme Khwāja Chisht, ou, simplement, Chisht) est un village situé sur la rive nord du Hari Rud, à environ 140 km à l’est de Hérat, en Afghanistan. Dans ce lieu, le maître sufi Abū Isḥāq Shāmī (m. 328/940) aurait fondé la Chishtiyya, une confrérie qui prit son essor en Inde à partir du XIIIe siècle. Le site est aussi connu pour la présence de deux structures à coupole (gunbads) en brique cuite, datant de l’époque du sultanat ghouride (544-612/1149-1215). Bien que tombés en ruine dès l’époque des premières prospections au XXe siècle, ces monuments révèlent les traces d’un riche décor architectural en brique cuite et en stuc, et de plusieurs inscriptions en arabe et en persan, de styles et de contenus variés. La fonction originelle des deux gunbads reste incertaine : si leur forme s’apparente à celle des mausolées à coupole répandus dans la région, les enquêtes de terrain et les photos aériennes suggèrent qu’ils faisaient partie d’un même complexe architectural, jamais investigué archéologiquement.
Les deux monuments sont mentionnés dans nombre d’ouvrages consacrés à l’architecture islamique et leurs inscriptions ont été en partie publiées. Cependant, plusieurs questions restent ouvertes et certaines sources utiles à leur étude n’ont pas été pleinement exploitées jusqu’à présent. Dans cette communication, nous allons analyser dans une perspective comparative le décor architectural et, en particulier, les inscriptions des deux gunbads. Une révision globale de leur programme épigraphique, y compris le déchiffrement de plusieurs textes inédits, a été rendu possible grâce à l’étude des photos prises par Josephine Powell vers 1960. La présence de plusieurs versions de la titulature du sultan ghouride Ghiyāth al-Dīn Muḥammad b. Sām (r. 558-599/1163-1203), de passages coraniques et formules religieuses liées aux pratiques rituelles, ainsi que le caractère très ornemental des styles graphiques font des inscriptions des Chisht-i Sharif un témoignage majeur sur la tradition épigraphique de l’Iran pré-mongol. En nous appuyant sur les comparaisons avec d’autres monuments ghourides — parmi lesquels le célèbre minaret de Jam, situé à une courte distance du site — ainsi que sur les informations dérivées des sources manuscrites et des monnaies, nous offrirons des perspectives nouvelles sur la chronologie et la fonction originelle des monuments, et, plus largement, sur l’histoire des Ghourides dans la région.

Orientation Bibliographique

  • Blair, Sheila S.. « The Madrasa at Zuzan: Islamic Architecture in Eastern Iran on the Eve of the Mongol Invasions », Muqarnas 3, 1985, p. 75-91.
  • Flood, F. Barry. « Ghurid monuments and Muslim identities: Epigraphy and Exegesis in Twelfth-century Afghanistan », Indian Economic and Social History Review 42/3, 2005, p. 263-294.
  • Le Berre, Marc. « Chisht » in Warwick Ball (en collaboration avec Jean-Claude Gardin), Archaeological Gazetteer of Afghanistan: Catalogue des sites archéologiques d’Afghanistan. Paris: Recherche sur les civilisations, 1982, vol. 1, p. 76, no 212.
  • Maricq, André & Wiet, Gaston. Le Minaret de Djam : La découverte de la capitale des Sultans Ghorides (XIIe–XIIIe siècles). Paris: C. Klincksieck, 1959.
  • Patel, Alka. Iran to India. The Shansabānīs of Afghanistan, c. 1145-1190. Edinburgh: Edinburgh University Press, 2021.
  • Powell, Josephine. « Josephine Powell photographic archive (1951-1975) », Harvard University Library, Fine Art Special Collections (AKP187): http://id.lib.harvard.edu/alma/990119685550203941/catalog.

Jeudi 15 décembre 2022, salle 5.28 (17h-19h)

Alberto Bernard (École Pratique des Hautes Études – PSL/CeRMI)
« Passe-moi le sel » : serments et diplomatie chez les rois sassanides

Résumé
Les pratiques du serment dans l’Iran ancien nous sont encore mal connues et une étude dédiée à ses aspects sociaux et religieux fait encore partie des desiderata des études iraniennes. Chez les historiens tardo-antiques tels que Procope (Guerres 1.4.9-10), ps-P’awstos (Histoires épiques 4.53) et ps-Sebēos (Histoire des Arméniens 11, 12, 39, 40), on trouve une allusion remarquable au fait que des rois sassanides comme Šābuhr II (iiie s.), Pērōz (ve s.) ou Kawād II Šīrōe (viie s.) prêtaient serment en « scellant du sel ». S’agit-il ici d’une fiction des sources littéraires ou d’une réalité historique ? En analysant ce dossier jusqu’à présent négligé et en mobilisant de nombreux témoignages sur la symbolique du sel dans le monde iranien, je propose d’y voir le reflet d’une pratique communicative royale, qui prenait sa forme dans la diplomatie interétatique et servait à garantir non seulement l’engagement du roi mais aussi l’immunité de la contrepartie. À cet effet, le sel était employé comme gage symbolique de bonne foi, d’hospitalité et d’amitié.

Orientation Bibliographique

  • N.G. Garsoïan, « Armenian Sources on Sasanian Administration », in R. Gyselen (éd.), Sources pour l’histoire et la géographie du monde iranien, 224-710, Bures-sur-Yvette, 2009, p. 91–114.
  • M.K. Patkanian, « Essai d’une histoire de la dynastie des Sassanides, d’après les renseignements fournis par les historiens arméniens », in Journal Asiatique, 7 (1866), p. 101–238.
  • E. Nechaeva, Embassies – Negotiations – Gifts : Systems of East Roman Diplomacy in Late Antiquity, Stuttgart, 2014.

Jeudi 26 janvier 2023, salle 3.15 (17h-19h)

Meryem Sebti (Centre Jean Pépin, UMR 8230)
Des récits philosophiques de Sohravardi à la poésie de Saadi : l’influence de la doctrine avicennienne de l’imagination

Résumé
Avicenne a conçu une doctrine de la perception sensible, laquelle porte une doctrine de l’imagination novatrice, qui va marquer durablement l’histoire intellectuelle du monde musulman. En effet, le philosophe établit que la sensation ne devient réellement perception que lorsque la forme issue de la sensation s’imprime dans le premier des sens internes, le sens commun. Cette doctrine a une conséquence épistémologique importante : la chose imaginée et la chose perçue en provenance du monde extérieur ont la même réalité, la même qualité de présence, pour le sujet de la perception. Ainsi, la vision de l’halluciné ou du fou, ou encore celle du prophète ont une réalité, une densité ontologique, semblable à celle de la perception par l’homme sain du monde extérieur. Par ailleurs, l’imagination est en contact avec « le monde de l’invisible » (‘ālam al-ghayb) dont elle reconfigure les visions obtenues par un processus de mimesis.
Cette doctrine de l’imagination va exercer une influence importante non seulement sur un philosophe tel Shihāb al-Dīn Suhrawardī (1155-1191) mais aussi sur un poète comme Saadi (1210-1291/92). Suhrawardī, en partant de la doctrine avicennienne, va, dans son ouvrage Ḥikmat al-Ishrāq, établir l’existence d’un nouveau monde situé entre le monde des réalités intelligibles et le monde physique. Il dénomme ce monde « le monde des images suspendues » (ʿālam al-muthul al-muʿallaqa) ou le monde des « images pures » (al-ashḥâb al-mujarrada). Ce qui était chez Avicenne une doctrine psychologique devient une doctrine ontologique. C’est dans ce monde des images suspendues que la résurrection a lieu. Entre ce monde des réalités suspendues et notre monde, ou plutôt notre imagination, un échange fécond s’institue qui rend raison, entre autres, de la capacité de l’imagination humaine à forger des figures extraordinaires et chimériques.
Nous étudierons aussi comment la doctrine élaborée par Avicenne influence la démarche poétique de Saadi. Ainsi, dans certains ghazal, Saadi examine l’apparition de l’image forgée en imagination par l’aimé et la compare avec la mémoire d’un événement qui a réellement eu lieu. Cette distinction entre, d’une part, l’image forgée par l’imagination et d’autre part, la réalité d’un événement donné trouve son origine dans la doctrine avicennienne des sens internes. D’autres ghazals, par l’usage qu’ils font de termes tels « khayāl », « musavvar », « fikr », « bā dīda bar dāshtan », « ẓann » permettent de montrer le lien direct avec la théorie avicennienne de la perception et de l’imagination ainsi que l’a montré Domenico Ingenito. Nous verrons, en prenant appui sur quelques ghazals, comment cette doctrine sous-tend la conception du souvenir telle que la conçoit le poète.

Orientations bibliographiques

  • Meryem Sebti, « Le statut ontologique de l’image dans la doctrine avicennienne de la perception », Arabic Sciences and Philosophy, 2005, p. 109-140.
  • Fazlur Rahman, « Dream, Imagination and ‘ālam al-mithāl », Islamic Studies, vol. 3, juin 1964, p. 167-180.
  • Roxanne Marcotte, « Suhrawardī’s Realm of the Imaginal », Ishraq: Islamic Philosophy Yearbook, 2011, p. 68-79.
  • Nicolai Sinai, « Al-Suhrawardī on Mirror Vision and Suspended Images (Muthul Mu‘allaqa) », Arabic Sciences and Philosophy, vol. 25, 2015, p. 279-297.
  • Lambertus W. C. Van Lit, The World of Image in Islamic Philosophy. Ibn Sīnā, Suhrawardī, Shahrazrī, and Beyond, Edinburgh University Press, Edinburgh, 2018.
  • Domenico Ingenito, Beholding Beauty. Sa‛di of Shiraz and the Aesthetics of Desire in Medieval Persian Poetry, Brill Studies in Middle Eastern Literatures, Leyde, 2020.

Jeudi 2 mars 2023, salle 3.15 (17h-19h)

Francis Richard (BULAC)
Le roi et sa cour dans l’iconographie des manuscrits du Shāhnāme

Résumé
Le Shāhnāmeh a une grande importance dans tout le monde iranien. Il transmet notamment, par son texte même, une image de la royauté qui a exercé une grande influence dans l’imaginaire des peuples de culture persane mais a peut-être aussi contribué à élaborer au travers des différentes figures de souverains une image de la souveraineté qui s’est répandue sur une très vaste aire géographique. Certains des souverains iraniens préislamiques ont fourni des modèles ou un idéal pour différents peuples iranisés. Transmis par de nombreux manuscrits, le texte de l’épopée a été illustré dès le milieu du xiiie siècle dans beaucoup d’exemplaires destinés à des amateurs illustres ou fortunés. Parmi les miniatures, réalisées en différents endroits et dans des styles divers, un nombre important montrent des souverains trônant dans leur palais, rendant la justice, guerroyant ou chassant.
Nombre d’études concernent l’iconographie du Shāhnāmeh. On voudrait simplement ici montrer certaines de ces miniatures en tentant de s’interroger sur les attitudes plus ou moins stéréotypées que les peintres adoptent pour figurer les rois, sur la façon dont leur personne est mise en valeur et sur les attributs du souverain (couronne, vêtement, etc.). Le roi combat-il personnellement ? La cour est souvent représentée ; son étiquette varie-t-elle d’une époque à l’autre ? Qu’en est-il des différents dignitaires ? Quelle est la façon de rendre la justice ?
Les rois président des célébrations de fêtes (Nowrūz, Mehregān) et on peut parler parfois de « figure sacrée du souverain », mais cela apparaît-il dans les images produites par les peintres ?
Le palais ou le jardin sont les lieux de réception royale. Beaucoup de scènes de réception d’ambassadeurs ou parfois des délibérations d’un roi avec ses généraux sont présentes dans les manuscrits. Au-delà des stéréotypes qui sont fréquents, certaines scènes sont des allusions aux évènements contemporains de la réalisation du manuscrit et représentent de la manière la plus glorieuse possible le souverain dédicataire du manuscrit. On pourra dès lors essayer de comprendre pourquoi les différentes dynasties se sont approprié le Shāhnāmeh et ses images pour y trouver une représentation idéale de la royauté correspondant aux aspirations des populations familières des récits épiques iraniens.

Orientations bibliographiques

  • Barbara Brend ; Charles Melville (éd.), Epic of the Persian Kings. The Art of Ferdowsi’s Shahnameh, London / New York, I. B. Tauris, 2010.
  • Anna Caiozzo. Le roi glorieux. Les imaginaires de la royauté d’après les enluminures du Shāh Nāma de Firdawsī aux époques timouride et turkmène, Paris, Geuthner, 2018.
  • Pierre Lecoq (trad.), Shâhnâmeh. Le Livre des Rois, Paris, Les Belles Lettres / Geuthner, 2019.
  • Shahnama project : https://cudl.lib.cam.ac.uk/collections/shahnama/1.
  • Stuart Cary Welch, (ed.), A King’s Book of Kings: the Shah-nameh of Shah Tahmasp, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1976 (en ligne sur Google Books).

Jeudi 16 mars 2023, salle 3.15 (17h-19h)

Estelle Amy de la Bretèque (Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative, UMR 7186)
(Y)ézidis et (Y)ézidisme en exil

Résumé
Le (Y)ézidisme est une religion originaire de Mésopotamie. C’est aussi un système d’organisation sociale et, en fin de compte, une manière de voir le monde. Cette présentation s’attachera à décrire les reconfigurations du (Y)ézidisme en exil, en prenant appui sur une enquête de terrain menée depuis 2019 auprès de (Y)ézidis drômois originaires de Shingal (Irak).

Orientations bibliographiques

  • Amy de la Bretèque, Estelle, « Des larmes pour ambassade. Les Yézidis sur la scène internationale après les massacres de Sinjar », Terrain 73, 2020.
  • Amy de la Bretèque, Estelle, « Les Yézidis : du trauma au combat politique », The Conversation, 10 septembre 2020.
  • Kreyenbroek Philip G. Yezidism in Europe: Different Generations Speak about their Religion, Harrassowitz Verlag, 2009.

Jeudi 11 mai 2023, salle 3.15 (17h-19h)

Rostislav Oreshko (Orient et Méditerranée, UMR 8761/Center for Hellenic Studies, Harvard University)
Les Perses en Anatolie : trois études épigraphiques sur la Lycie, la Lydie et la Phrygie

Résumé
Suite à la conquête de la Lydie par Cyrus vers 546 av. J.-C., l’Asie Mineure devint une partie intégrante de l’Empire perse et, à l’exception des villes grecques de la côte égéenne libérées à la suite des guerres médiques, le resta par la suite pendant plus de deux siècles. Cette longue période de domination achéménide a laissé une empreinte remarquable sur le paysage culturel de la région (cf. Briant 2020 et Dusinberre 2020). Sur le territoire anatolien divisé en cinq satrapies, Cyrus et ses successeurs établirent des colonies militaires – notamment dans les parties occidentales toujours menacées par les Grecs – et introduirent des éléments du système administratif perse (e.g., Dusinberre 2013), et des terres furent données en apanage aux nobles perses (Briant 1986 et Sekunda 1986). Tout cela, peut-on supposer, généra un important afflux de la population iranienne en Anatolie. Pourtant, la situation n’était pas identique dans toutes les régions. Par exemple, à Sardes, la capitale de la satrapie la plus importante d’Anatolie, et dans toute la plaine lydienne l’influence iranienne était forte (cf. Dusinberre 2003), tout autant que dans la région de Daskyleion, la capitale de la satrapie de la Phrygie hellespontique (cf. Bakır 2003 et Kaptan 2002). En revanche, en Carie (proprement dite), dont la gouvernance fut placée dans les mains d’une dynastie locale, les éléments iraniens sont moins apparents, et en Phrygie centrale on ne trouve des traces de la présence perse que dans l’ancienne capitale, Gordion.
Nos connaissances de l’Anatolie achéménide se fondent principalement sur trois types de témoignages bien connus. Les aspects essentiels de l’histoire politique ont été établis surtout grâce aux sources classiques allant des témoignages contemporains d’Hérodote, Thucydide ou Xénophon aux récits historiques de Strabon, Diodore ou Arrien. L’archéologie y ajoute des détails mineurs concernant la culture matérielle et la vie quotidienne. Les inscriptions grecques de la région, pour leur part, en évoquant des noms de dieux et de personnes d’origine iranienne, fournissent de précieux indices sur la religion et le tissu social au temps de l’Empire perse (cf. Mitchell 2007, entre autres). Ces témoignages épigraphiques sont malheureusement très rares et souvent trop fragmentaires. Pourtant, les inscriptions grecques ne sont pas les seules contenant du matériel pertinent : les inscriptions en d’autres langues de l’Anatolie comportent elles aussi des références à la présence iranienne qui, si interprétées correctement, peuvent considérablement enrichir nos connaissances de l’Anatolie achéménide.
Dans cette conférence, je présenterai trois cas d’études concernant les corpus épigraphiques en trois langues anatoliennes – le lycien, le lydien et le phrygien – qui mettent en évidence le potentiel de ce matériel pour éclairer l’histoire de l’Anatolie achéménide. Le premier (reprenant Oreshko 2021, cf. Hyland 2021) se concentrera sur l’inscription trilingue de Xanthos et sur des aspects militaires et politiques de la présence iranienne en Anatolie du Sud à la fin du 5ème siècle av. J.-C. Le deuxième portera sur l’engagement des Perses dans les questions religieuses et le culte en Lydie au 4ème siècle av. J.-C. Enfin, dans la troisième étude, je présenterai une nouvelle inscription phrygienne trouvée en 2022 à Gordion (Oreshko-Alagöz à paraître) qui, entre autres, jette une lumière inattendue sur la présence de la noblesse iranienne dans la région de Pergame en Mysie au début de la période hellénistique.

Orientations bibliographiques

  • Bakır, T. 2003 : « Daskyleion (Tayaiy Drayahya) Hellespontine Phrygia Bölgesi Akhmenid Satraplığı », Anatolia 25, p. 1-26 [en allemand et en turc].
  • Briant, P. 1986 : « Dons de terres et de villes : l’Asie mineure dans le contexte Achéménide », Revue des Études Anciennes, tome 87 (1985), n°1-2, Journées d’Études sur l’Asie Mineure, Bordeaux, p. 53-72.
  • Briant, P. 2020 : « On ‘Achaemenid impact’ in Anatolia (reading notes) », in Ashk P. Dahlén (ed.). Achaemenid Anatolia: Persian Presence and Impact in the Western Satrapies 546-330 BC. Proceedings of an International Symposium at the Swedish Research Institute in Istanbul, 7-8 September 2017, p. 9-35.
  • Dusinberre, E. R. M. 2003 : Aspects of Empire in Achaemenid Sardis, Cambridge.
  • Dusinberre, E. R. M. 2013 : Empire, Authority, and Autonomy in Achaemenid Anatolia, Cambridge.
  • Dusinberre, E. R. M. 2020 : « Impacts of Empire in Achaemenid Anatolia », in Ashk P. Dahlén (ed.). Achaemenid Anatolia: Persian Presence and Impact in the Western Satrapies 546-330 BC. Proceedings of an International Symposium at the Swedish Research Institute in Istanbul, 7-8 September 2017, p. 37-63.
  • Hyland, J. 2021: « Between Amorges and Tissaphernes: Lycia and Persia in the Xanthos Stele », in Annick Payne – Šárka Velhartická – Jorit Wintjes (ed.). Beyond All Boundaries: Anatolia in the 1st Millennium BC (OBO 295), Leuven, p. 257-278.
  • Kaptan, D. 2002 : The Daskyleion Bullae: seal images from the western Achaemenid empire I–II, Leiden.
  • Mitchell, S. 2007 : « Iranian Names and the Presence of Persians in the Religious Sanctuaries of Asia Minor », in Elaine Matthews (ed.). Old and New Worlds in Greek Onomastics, Oxford, p. 151-172.
  • Oreshko, R. 2021 : « Observations on the Xanthos Trilingual: Syntactic Structure of TL 44a, 41-55 and the Lycian Terminology of Art and War », Hungarian Assyriological Review 2/1, p. 95-144.
  • Oreshko, R. – Alagöz, U. à paraître : « A new Phrygian Inscription from Gordion: A Pergamene contingent in Phrygia in the early reign of Antiochus I », Belleten 87, août 2023.
  • Sekunda, N. V. 1986 : « Achaemenid colonization in Lydia », Revue des Études Anciennes. Tome 87, 1985, n°1-2. Journées d’Études sur l’Asie Mineure, Bordeaux, p. 7-30.

Jeudi 13 avril 2023, salle 3.15 (17h-19h)
Cette séance est ajournée en raison du mouvement social annoncé pour le 13 avril 2023.

L’intervention a été reportée au 1er juin 2023, salle 3.15 (17h-19h)

Jaroslava Obrtelovà (Uppsala University, Department of Linguistics and Philology)
Linguistic means for expressing epistemic stance and perspective shifts in the Wakhi language

Résumé / Abstract
Wakhi is one of the minority East-Iranian languages spoken in the remote areas of the high Pamir mountains. Analysis of the narrations collected among the Wakhi speakers in their natural environment revealed that expressing the speakers’ attitude towards knowledge and their stance in relation to what they tell is, if not more important, at least as important as expressing the temporal and aspectual properties of the narrated events.
For example, when telling a story, Wakhi narrators always choose between telling it either from the perspective of an eye-witness or from a non-witnessed perspective. The witnessed narrations are told exclusively in the past tense, while the non-witnessed narrations, be it a re-telling of past real events, fictional stories or even future events, are told in the non-tense/non-past. Thus, the choice of the verb form informs the listener/reader of the individual (subjective) speaker’s epistemological stance rather than the (objective) situation of the event on the time-line. In addition to this ‘witnessed versus non-witnessed’ distinction, Wakhi speakers can further nuance their stance by either reinforcing or distancing themselves from the credibility claim. Different Wakhi speakers can narrate the same event or parts of it differently, depending on the speaker’s stance, which is reflected in the use of different linguistic means.

Orientations bibliographiques

  • Mock, John Howard. 1998. The Discursive Construction of Reality in the Wakhi Community of Northern Pakistan . Berkeley: University of California PhD Thesis.
  • Obrtelová, Jaroslava. 2017. Narrative Structure of Wakhi Oral Stories (Studia Iranica Upsaliensia 32). Uppsala: Uppsala University, Department of Linguistics and Philology.
  • Obrtelová, Jaroslava. 2019. From Oral to Written: A Text-linguistic Study of Wakhi Narratives . Uppsala University, Department of Linguistics and Philology PhD Thesis.

Jeudi 15 juin 2023, salle 3.15 (17h-19h)

Nina Soleymani-Majd (Sorbonne Nouvelle)
Récits de voyageuses britanniques en pays bakhtiyāri (xixe-xxe siècle)

Résumé
Respectivement en 1890 et en 1927, Isabella Lucy Bird-Bishop puis Vita Sackville-West se rendirent en pays bakhtiyāri et en tirèrent des récits de facture fort différente, entre relation épistolaire scientifique, et voyage d’inspiration romantique.
Elles y rapportent leurs observations avec le tranquille sentiment de leur supériorité d’Européennes, laissant transparaître une adhésion au projet interventionniste anglais dans le pays qu’elles appellent encore la Perse à cette époque. Voilà comment il faut comprendre les constantes associations de « l’Occident » avec la « civilisation », au point que les deux termes sont souvent utilisés par elles comme de parfaits synonymes, et de l’autre côté l’assimilation de « l’Orient » à un ensemble de pays figés dans un passé immuable, et a fortiori incapables d’un progrès qui les ferait entrer dans la modernité attribuée à l’âge industriel. À cet égard, le nomadisme fait à première vue figure de preuve irréfutable de ce fossé qui sépare à leurs yeux Orient et Occident, en ce qu’il est le mode de vie le plus éloigné de l’idée qu’elles se font de la civilisation. Et pourtant, grâce à cette position qui le place à l’extrême opposé du spectre s’étendant de la civilisation à l’état de nature, le nomadisme est paradoxalement pour ces voyageuses la meilleure porte d’entrée vers la découverte d’un monde radicalement différent, dépouillée des vaines comparaisons entre habillement, architecture, ou encore système politique occidental et oriental. Ainsi naît l’opportunité d’une véritable ouverture à l’autre, opportunité dont elles se saisissent à des degrés divers, en fonction des contraintes littéraires ou scientifiques qu’elles se sont fixées.

Orientations bibliographiques

  • Isabella L. Bird-Bishop, Journeys in Persia and Kurdistan, Londres, John Murray, 1891, 2 vol. [Online]
  • Laurence Chamlou, Mirages persans : Les récits de trois voyageuses au tournant du XXe siècle, Grenoble, UGA Éditions, 2022.
  • Jean-Pierre Digard, Une Épopée tribale en Iran : Les Bakhtyâri, Paris, CNRS Éditions, 2015.
  • Vita Sackville-West, Twelve Days : An account of a journey across the Bakhtiari Mountains in South-western Persia, Londres, Hogarth Press, 1928. [Oline] ; trad. fr. Une Aristocrate en Asie : Récit d’un voyage en pays bakhtyar, dans le sud-ouest de la Perse, trad. Isabelle Di Natale, Monaco, Éditions du Rocher, 2000 [rééd. Payot/Rivages 2006]. [Online]